Cat's Eyes est une artiste au CV impressionnant ! DJ, multi-instrumentaliste, flûtiste, elle est à l'aise dans bien des esthétiques musicales : du hip hop au reggae, de l'electro au classique en passant par les musiques traditionnelles (dites "world music"). Marine Thibault signe aujourd'hui "A dream in red mansions", un deuxième album métissé et hors du temps où musique chinoise se marie à merveille à la techno.

Clubxtrem) Comment te présenterais-tu pour les internautes qui vont découvrir ton univers ?

Comme une musicienne qui fait des expérimentations avec toutes sortes de sons pour raconter des histoires. Lorsque je joue du piano, de la flûte ou compose de l'électro, des images me viennent en tête et je me laisse porter sans réfléchir. Cela fait des musiques. Parfois c'est nul. Parfois, c'est magique !

Ce qui est intéressant dans la musique, c'est ce que l'on peut directement transmettre des impressions, des sensations, des émotions, là où les mots et les choses ont leurs limites.

Je mélange les sons électroniques pour leur dimension irréelle, abstraite et les sons acoustiques pour leur chaleur humaine et physique. Il me semble que ce mélange permet de faire ressortir de façon complète ce que l'on est et une représentation de l'espace dans lequel on évolue.

Mon univers est en l'occurrence peut propice au succès commercial, mais promet de faire voyager les plus aventureux.

Clubxtrem) Ton CV est impressionnant et ton parcours étonne. Je crois que tout a commencé dès ton plus jeune âge avec des parents déjà bien investis dans le monde de la musique...

J'ai eu la chance d'avoir eu dès la naissance de très beaux jouets à disposition : TR-808, piano, basses, guitares, synthé Korg en bois, orgue, Juno 60, DX7... En effet, mon père était ingénieur du son dans le mythique studio "Le château d'Hérouville" et ma mère pianiste et compositrice. C'est elle qui m'a enseigné la musique, avec beaucoup d'improvisation, de liberté et de créativité. C'était à l'encontre de ce que l'on nous enseigne dans les écoles de musiques où l'on cherche davantage à former des interprètes obéissant à un chef d'orchestre que des conteurs mélomanes autonomes. Il est néanmoins super de parvenir à savoir faire les deux. Un peu comme dans la vraie vie : savoir se fondre dans la masse, apprendre mille et une choses de ce qui nous entoure, puis le transformer dans un langage personnel pour à notre tour transmettre une vision du monde.



Clubxtrem) De combien d'instruments sais-tu jouer ?

Celui que j'ai le plus travaillé est la flûte traversière (prix du conservatoire, diplôme d'état en classique et musiques actuelles). Mon premier instrument est le piano, le synthé, les machines. Puis dj, la percussion, la basse, un peu de guitare, du chant, des instruments traditionnels, tout ce qui fait du bruit facilement. Mais impossible de jouer de la batterie, du violon, de la trompette, du saxophone...

Clubxtrem) Ce 2ème album studio est purement électro : dans quel état d'esprit a-t-il été composé ?

En tant que flûtiste, j'ai eu la chance de partager de superbes moments musicaux avec des artistes d'horizons variés : Wax Tailor (hip hop), Gasandji (musique africaine), Ezra (human beat box), Alpha Blondy (reggae)... Contrairement à ce que l'on pourrait s'imaginer pour une instrumentiste, mon premier amour d'enfance, c'est la techno, l'ambient. Des groupes tels que Jam & Spoon, Art of Noise, les émissions tard la nuit sur Radio FG dans les années 1990. Pendant des années, j'ai mixé de l'électro, mais je n'ai pas osé en faire franchement parce que je n'étais pas du tout soutenue dans cette voie par mon entourage. Mais j'adore cela... Et puis je me suis dis que comme de toute façon mon objectif n'était pas d'être connue, alors pourquoi pas se faire littéralement plaisir ? J'aurais adoré faire partie de la scène électro des années 1990 que je trouve très riche, colorée, expérimentale. Moins formatée. En même temps, le son sonne carrément bien de nos jours et on ne sait plus où donner de la tête tant il y a de talents à découvrir !



Clubxtrem) Ces chants asiatiques sont-ils échantillonnés ?

Xue Sujuan est une vraie personne, chanteuse, poétesse, traductrice, écrivain. Travailler avec elle fut un grand bonheur. Elle m'a expliqué les chants traditionnels qu'elle interprétait, l'état d'esprit de ces textes poétiques, l'opéra chinois... On a refait le monde ensemble pendant quelques instants que je n'oublierai pas.

L'autre voix est un mystère. En écoutant un joueur de flûte qui jouait dans le kiosque d'un magnifique parc en Chine, j'ai acheté son CD "A dream in red mansions" dans lequel sont interprétées 14 mélodies en référence à un célèbre roman chinois. Cette musique m'a bouleversé et inspiré mon disque. Je rêve de rencontrer cette femme. Je me dis que peut-être elle est morte... Qu'elle est peut-être fâchée contre moi, de ce que j'ai pu faire avec sa voix. En même temps, j'ai essayé d'être respectueuse, de la sublimer avec mes petits moyens, comme s'il s'agissait du chant d'une déesse. A priori, je n'ai pas encore eu de problèmes avec des fantômes.

Clubxtrem) Ton nom de scène évoque un célèbre dessin animé des années 1980. Pourtant, à l'écoute, je pense plus l'univers de Miyazaki qu'à un manga... Pourquoi ce nom de scène ?

"Cat's Eyes" fait référence à un conte pour enfant dans lequel j'ai participé à l'âge de 8 ans. C'est l'histoire d'un enfant qui voit dans le noir. Sinon, mon modèle féminin était bien Tam des Cat's Eyes, son personnage double : ordinaire le jour, dangereuse la nuit.



Clubxtrem) "A dream in red mansions", le titre de l'album fait référence à un roman chinois... Comment as-tu entendu parler de cette oeuvre ? Quel lien entre cette oeuvre littéraire et ta musique ?

J'ai pris connaissance de cette oeuvre en achetant le disque "A dream in red mansions" dans la rue en Chine. J'ai voulu en savoir plus sur l'histoire et la signification de ces 14 chansons. Et alors j'ai plongé dans le roman de Ciao Xuequin de 3000 pages édité par la pléiade.

Celui-ci évoque une histoire d'amour impossible entre la belle Lin et le jeune Jade. Ce dernier est coincé par sa mère qui souhaite pour lui un mariage avec une femme traditionnelle, une bonne épouse selon les usages de l'époque. Lin, bien que vertueuse, affirme son caractère et dérange. Poétesse, musicienne, nostalgique, elle montre ses émotions, dit franchement ce qu'elle pense dans une maison où règnent une hypocrisie et une jalousie majeure. Sous les directives de la mère, subrepticement, elle est isolée et malmenée psychologiquement par le clan qui utilise Jade contre elle. Elle en souffre et tombe malade jusqu'à en mourir. Jade ne se rend pas compte de ces manipulations qui tuent à petit feu celle qu'il aime, jusqu'à ce que... Suspens !

A travers cette histoire, se dégage une réflexion sur la liberté, les conventions, le destin, la force ou le poids de la famille, l'amour, le couple, la passion, les esprits, la manipulation, le karma... Que l'on soit occidental ou oriental, l'on subit tous des pressions familiales ou sociales qui affectent nos choix. Ce qui est intéressant, c'est lorsque l'on trouve la force de s'en émanciper, et alors d'assumer ce que l'on ressent et le chemin que l'on construit. Ce qui se fait parfois au prix de nombreux sacrifices.

J'ai aussi beaucoup été touchée dans cette histoire par ce personnage d'artiste féminin à qui le mariage et la vie de famille semble refusée. En France et même aujourd'hui lorsqu'on a un parcours atypique, il n'est pas chose facile de construire son foyer, de trouver un homme suffisamment ouvert pour assumer d'avoir un fonctionnement différent des couples conventionnels. J'ai longtemps eu peur que ma passion pour les arts ne se fasse au sacrifice de ma vie privée. Et c'est peut-être grâce à ce livre, grâce à ce projet, qu'aujourd'hui j'ai trouvé des solutions qui fonctionnent.



Clubxtrem) Paradoxalement, la machine donne un résultat organique... une volonté de ta part ou le fruit du hasard ?

C'est une volonté. Beaucoup de recherche de sons. Le côté "grosse mécanique qui impressionne", "gros son qui tape" de la musique électronique n'est pas ce qui me touche. Mais plutôt l'imbrication minutieuse des instruments et des machines afin de créer des univers, des sensations, des histoires. Je vois les machines comme des extensions qui permettent de produire là où les instruments ont leur limite telles que les infra basses ou diverses textures indéfinissables. Le côté chaud froid me plaît aussi. Il représente à mes yeux ma vision du monde : un tiraillement perpétuel entre modernité et tradition, entre un monde rationnel "quantizé" et celui des choses invisibles, des émotions, de l'intemporel, entre savoir ancestraux et technologies de pointes.

Clubxtrem) Ta musique sonne comme celle de Fakear sur la forme et comme celle des Hilight Tribe sur le fond...

J'ai rencontré Fakear en 2012 alors qu'il faisait les premières parties de Wax Tailor. Je travaillais dans la loge au casque sur ce projet et lui sur le sien. On a rigolé quand on a vu que j'étais plongée dans mes chinoiseries et lui dans ses sons japonais ! Il m'a invité sur un de ces morceaux "Titled days" avec mes flûtes traditionnelles.

Plus jeune, j'adorais Hilight Tribe dont j'ai eu l'occasion de faire la première partie en solo avec mes machines pour la sortie de mon EP "The Giant".



Clubxtrem) En dehors de Senbei qui a mixé cet album : qui sont les autres intervenants du disque ?

Xue Sujuan dont j'ai parlé tout à l'heure.
Nicolas N'Guyen (Dj Sparo), fin scratcheur et producteur avec qui l'on a souvent fait des battles avec ses scratches de voix vietnamiennes et mes flûtes traditionnelles.
Claire Duchâteau, talentueuse harpiste rencontrée dans le "Phonovision orchestra" avec Wax Tailor.
Charlotte Savary, amie et l'une de mes voix préférées, qui a composé un texte et une mélodie sur "Mamie", une chanson qui aide les défunts à rejoindre le ciel dans l'amour et la paix.



Clubxtrem) Beaucoup d'artistes de musiques électroniques qui ont des sons asiatiques travaillent avec des pads... de ton côté, quel est ton matériel de travail ?

J'aime bien travailler avec de vrais humains. Ce projet dans lequel j'utilise pas mal d'échantillons est une étape, une contrainte de production. Je compte m'en servir pour rallier des artistes pour d'autres projets à venir.

Pour les mêmes raisons, je suis seule sur scène avec claviers, flûtes, flûtes traditionnelles, chant, MC 307 et un pad Mashine pour déclencher rythmiques et samples. J'ai aussi une jolie décoration et tout rentre dans une valise transportable pour le TGV.

Clubxtrem) Des remixes sont-ils envisagés ?

Oui !

Clubxtrem) La future actu ?

La sortie de l'album.
Plusieurs clips à venir.
Des dj sets et des concerts à partir de l'été 2016.
La sortie de la face B de l'album avec 12 autres titres.
Une musique de film.
Une B.O pour un documentaire.
Sortir un CD des musiques acoustiques que j'ai composé pour le réalisateur Patrick Profit.
Repartir en tournée prochainement avec Wax Tailor.
Un nouveau projet en duo en cours d'enregistrement pour 2017.
... Beaucoup de choses et beaucoup de bonheur !

Quelques liens :
- Facebook,
- Soundcloud,
- Youtube,
- l'interview radio "long format".

Propos recueillis par Stéphane Chambord / Radio Résonance.

S'identifier

Rechercher

Agenda

Qui est en ligne ?

Restez connecté !